Le politique et le religieux dans notre pays, le Mali

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Le nouveau désordre est total. La terreur ne semble épargner aucun pays. Dacca ce début de mois de juillet avec une vingtaine de victimes, quelques jours plus tôt c’était Istanbul avec plus de quarante morts. En début d’année le Burkina Faso était frappé, quelques semaines avant la France et notre pays le Mali étaient la cible de la même barbarie qui dit agir au nom de l’islam. L’attaque de l’hôtel Radisson de Bamako ajoute à la confusion régnant dans le pays depuis qu’il a failli disparaître sous les feux de l’alliance diabolique entre des bandits armés et des terroristes islamistes lourdement armés en janvier 2012.

Ce contexte mondial tendu accroît la méfiance des populations vis-à-vis des religions notamment lorsqu’elles quittent la sphère privée pour s’immiscer dans les questions politiques. Je l’ai constaté, déjà en 2009, lors des débats survenus à l’adoption du “code de la famille et des personnes” par les députés de notre pays. De nombreux maliens, notamment sur les réseaux sociaux, étaient furieux contre des musulmans ayant manifesté leur désaccord avec le contenu du code. Certains opposants au texte se faisaient même traiter d’islamistes, leur opposition ayant été vue comme une mise en cause du principe de laïcité défendu par la constitution de notre pays.

La proximité de certains politiques de premier plan avec des leaders religieux, l’activisme de certaines organisations islamiques et la vocalité de leurs responsables n’arrangent pas les choses. Ces craintes sont-elles légitimes ? Le musulman peut-il avoir des revendications dans un pays laïc comme le Mali ? Que devrait-on attendre des responsables politiques ? Le musulman est-il un citoyen comme les autres ? Essayons d’apporter quelques éléments de réponses à ces questions en commençant par la dernière.

Le musulman est-il un citoyen comme les autres ?

Les musulmans constituent de loin la majorité de la population dans notre pays. Ce sont des femmes et des hommes avec des aspirations, des droits et devoirs. Leur voix compte tout autant que celle des autres citoyens maliens. En effet, comme à tous les autres citoyens maliens, la constitution leur garantit la liberté de culte et de religion. Toutefois cette liberté doit s’exercer dans le respect des lois du Mali. Certains semblent ignorer cet état de fait et veulent qu’ils n’aient aucune revendication sous prétexte que l’islamisme a fait du mal à notre pays. L’amalgame est systématique dans ce débat et cela attise les passions et empêche souvent la réflexion et la discussion nécessaires pour bâtir un socle commun de principes admis par tous.

Les musulmans du Mali vivent plutôt en harmonie avec les autres communautés religieuses comme les chrétiens ou les animistes. C’est cela la tradition de l’islam malien, pacifique et tolérant. Il faudrait remonter à plus d’un siècle pour rencontrer des conflits politico-religieux d’ampleur sur notre territoire. Cependant depuis quelques temps nous observons des changements qui risquent de mettre à mal cette harmonie tellement cruciale pour une vie communautaire paisible dans nos contrées. En effet, certains pays tentent d’importer dans notre pays une autre conception de l’islam à coup de milliards de F CFA reçus sous diverses formes (construction de mosquées et de médersas, formation des imams et prêcheurs à leur doctrine, bourses d’études accordées à des jeunes…). L’autre force qui menace la paix religieuse vient de groupes djihadistes d’origines diverses sévissant dans le Nord de notre beau pays. Ces deux menaces ont le même aboutissant : la destruction de l’entente sociale et religieuse de notre société ainsi l’immixtion de la religion dans les affaires politiques d’un pays laïc. Les autorités politiques doivent être vigilantes vis-à-vis de ces agissements, les combattre intelligemment, s’assurer qu’ils ne créent pas à terme des dissensions entre les citoyens mettant ainsi en péril la sécurité nationale. Les groupes armés sont facilement identifiables mais cela n’est pas le cas de la première menace mentionnée. Elle est plus méthodique, sournoise. Toutefois nous devons combattre ces deux fléaux avec la même énergie. Les responsables politiques doivent être en première ligne de ce combat. Les citoyens doivent les accompagner dans ce combat pour une laïcité réelle au lieu de chercher à refuser à de paisibles religieux d’avoir leur pleine expression citoyenne dans un pays qui aspire à la démocratie.

Le politique, le religieux et les citoyens

Les politiques doivent travailler avec les leaders religieux au même titre qu’ils doivent le faire avec les chefs de quartier, de village ou des responsables d’organisations estudiantines. Cela est une exigence car il est impératif d’être proches des préoccupations de ceux qu’ils sont censés servir.

En revanche ils doivent tenir un langage de vérité et chacune des parties doivent comprendre que la collaboration se fait dans le cadre des lois de notre pays et dans les intérêts de tous les maliens qu’ils soient religieux ou non, chrétiens, musulmans, animistes ou athées. Le politique n’est pas un chef religieux et sa quête de voix électorales ne doit en aucune manière le faire oublier les piliers de notre vivre ensemble : la laïcité et la justice pour tous sans discrimination aucune.

Hélas la tentation du clientélisme est tellement grande qu’il ne faudrait pas, à mon avis, compter uniquement sur les hommes et femmes politiques pour ne pas exploiter le fait religieux.

Beaucoup de nos mosquées sont fréquentées par des hommes politiques véreux, incompétents, malhonnêtes ou sans réel projet susceptible d’améliorer la vie des maliens. Pourtant ils se font tous plus religieux les uns plus que les autres surtout à l’approche des élections. Soyons clair sur un point capital. Un politique n’est pas un imam, ses compétences ne seront pas décuplées par ce qu’il se montre plus pieux que l’imam, fréquente toutes les mosquées de son quartier ou qu’il commence toutes ses interventions publiques par des invocations religieuses. Ça se saurait si c’était le cas. Là il ne s’agit guère pour moi de renier la foi des responsables politiques mais d’attirer l’attention d’honnêtes citoyens et des chefs religieux contre ceux qui se servent de la religion comme paravent à leur incompétence et à leur manque de projet pour les maliens.

Alors que faudrait-il regarder chez le responsable politique si ce n’est pas sa religiosité ?

La première chose à regarder est son projet politique. En clair ce qu’il compte faire une fois élu député, maire, Président de la République etc. Est-ce un projet solide, cohérent, crédible ou est-ce simplement un amas de bonnes promesses sans tête ni queue ? J’avoue que juger de la crédibilité du projet politique n’est pas toujours facile à réaliser par tous les citoyens surtout quand il s’agit de sujets très techniques mais ils doivent pouvoir compter sur les médias, les intellectuels et les politiques pour expliquer, dans un langage qu’ils comprennent, les projets portés par les protagonistes à tous les niveaux.

En deuxième lieu il convient de regarder le parcours des hommes et femmes qui aspirent à porter des responsabilités publiques. Qu’ils aient été dans le public ou dans le privé qu’ont-ils fait des responsabilités qu’ils ont exercées par le passé. Se sont-ils montrés à la hauteur ? Ont-ils pu faire bouger les lignes ? Qu’elles ont été leurs réactions face à la difficulté ? Les citoyens doivent porter un grand soin dans la recherche de réponses à ces questions. En effet, cela leur permettra de simplement comprendre que beaucoup de ces dinosaures qui peuplent la scène politique de notre pays ne méritent plus la confiance des maliens. Ils sont trop nombreux aux responsabilités depuis plus d’une décennie et n’ont laissé aucun impact positif sur la vie des maliens. Tout ce qu’ils nous évoquent c’est leur longévité au pouvoir ainsi que de nombreux rendez-vous qu’ils ont manqués pour transformer notre cher pays et améliorer la vie des maliens.

Le troisième et dernier point qui me semble impératif chez les aspirants aux responsabilités publiques, notamment au niveau le plus haut qu’est la Présidente de la République, est le courage. Le courage de tenir le cap même quand tous les voyants sont au rouge. Le courage de tenir bon face aux puissants pour l’intérêt du collectif. Le courage de tenir tête à sa propre famille quand celle-ci veut abuser du pouvoir que vous avez entre les mains. Le courage de déléguer en acceptant d’être parfois dans l’ombre. Le courage de céder sa place à d’autres quand nous savons que nous ne sommes pas l’homme de la situation. Le courage de se tenir à un langage de vérité et de ne pas céder à la démagogie et au clientélisme pour conquérir le pouvoir. Le courage de ne pas se servir dans le pot public même si la tentation est grande.

Voilà quelques éléments qui doivent constituer les bases des relations entre les politiques et les citoyens qu’ils soient musulmans, chrétiens ou sans religion. C’est entre autres ces éléments qui définissent les responsables politiques quand ils s’adressent aux maliens et non leur foi religieuse.

Et pour finir

J’espère qu’à la lumière de cette analyse il vous apparaît aussi que ce qui compte dans notre relation en tant que citoyens avec les politiques n’est ni qu’ils soient de la même confession religieuse que nous, qu’ils soient recommandés par notre leader religieux ou qu’ils soient de la même région ou ethnie. Ce qui compte c’est leur capacité de faire, faire pour la communauté, d’œuvrer pour améliorer la vie des maliens, leur donner de l’espoir, du travail, une éducation de qualité et faire qu’ils puissent vivre en sécurité au sens large du terme.

A propos de l'auteur

Nouhoum Traoré

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