En 60 d’indépendance notre pays a connu beaucoup de turbulences dans sa quête d’un bien-être socio-économique. De l’espoir suscité par le très volontariste Président Modibo Keïta lors de l’accession du Mali à l’indépendance et allant de crise en crise nous nous retrouvons aujourd’hui dans une impasse et un manque de perspective pour l’essentiel des maliens. Les différents régimes ayant géré le pays, qu’ils soient civils ou militaires, ont peiné à créer les conditions propices à l’édification d’un État et d’une nation capables de protéger l’intérêt général des maliens tout en permettant à l’individu de se réaliser et de s’épanouir. Au lieu de cela nous avons, à chaque fois, assisté à une confiscation en toute impunité des ressources publiques par une élite administrative et politico-économique. Les énergies sont déployées à piller le denier public et à dissimuler ce pillage au lieu d’être consacrées à construire notre pays. La conséquence fut l’émiettement de l’État désormais failli et une extrême fragilisation de notre nation.
Le redressement de l’État et la restauration d’une gouvernance vertueuse et durable dépasse la transition qui s’amorce puisque cela s’inscrit dans le temps long. Toutefois, cette transition nous offre une occasion inespérée d’opérer un changement radical de trajectoire dans la gestion du pays en jetant les jalons d’une véritable refondation. Cela passe par des réformes ambitieuses sur nos institutions et nos pratiques de gouvernance.
Une pratique démocratique à repenser
Notre démocratie n’en est plus une véritable tant elle a été atteinte dans ses fondements mêmes : crise de la représentativité, système électoral défaillant, manque de redevabilité, déséquilibre entre les différentes institutions avec une prédominance de l’exécutif qui écrase tous les contre-pouvoirs, impossibilité pour le citoyen de faire entendre sa voix et j’en passe.
Des réformes institutionnelles sont nécessaires afin de réduire les pouvoirs du Président et renforcer l’indépendance des pouvoirs judiciaire et parlementaire. Il convient également de mettre à plat toutes les institutions et remettre en cause toutes celles dont l’utilité n’est pas avérée. Et face à l’échec cuisant de notre démocratie représentative sur les 28 dernières années nous devons mettre les citoyens au cœur du jeu démocratique en allant vers une démocratie plus participative à travers des consultations, des concertations ou des référendums. Afin de donner à cette mutation toutes les chances de réussir il conviendra de créer une nouvelle institution chargée de la formation et de la participation citoyenne. Sa mission sera de doter les citoyens de tous les moyens d’exercer pleinement et activement leur citoyenneté.
Une autre réforme indispensable sera celle du système électoral afin de sanctuariser le suffrage du malien qui doit absolument être protégé des achats de conscience, des défaillances des organes chargés de l’organisation des élections et d’autres tares longuement abordées dans le débat public. Notre capacité à organiser des élections transparentes, ouvertes et régulières est une condition sine qua non à une sortie de crise durable.
Vers de nouvelles pratiques de gouvernance
Le rapport entre gouvernants et gouvernés doit également être repensé. Les premiers doivent se savoir au service des derniers et agir en conséquence. Les nominations aux responsabilités publiques doivent se faire uniquement sur la base des compétences et de l’intégrité. Le maintien à son poste d’un quelconque responsable public ne doit tenir que du fait de l’atteinte d’objectifs fixés à la prise de fonction et mis à jour régulièrement. Les objectifs ainsi que les critères de performance d’être rendus publics et accessibles aux usagers du service public. Des rendez-vous réguliers dont le rythme minimal devrait être régi par la loi seront des espaces d’échange entre les citoyens et les responsables publics qui sont là pour les servir et leur rendre des comptes. Cette exigence de redevabilité est à mettre en œuvre aux échelles locale et nationale.
Les nominations aux hautes fonctions ne doivent plus être laissées au seul exécutif mais faire l’objet de plus contrôle de la part du parlement à travers des auditions publiques et d’autres contrôles pour s’assurer d’avoir les hommes et femmes qu’il faut à la place qu’il faut.
Un audit de l’État et une remise à plat de l’arsenal de lutte contre la corruption
Le fléau de la corruption a miné notre pays et a connu une accélération sans précédent ces dernières années malgré la multiplication d’organes chargés pourtant de la combattre. Il convient de tous les mettre à plat afin de les rationaliser et en supprimer certains dont les compétences et moyens seront transférés à ceux qui seront maintenus.
Les 30 dernières nous avons assisté à un véritable braquage des ressources publiques à travers des surfacturations, des passations de marché irrégulières, des dilapidations de biens publics (bâtiments, terrains…) souvent au profit des seigneurs du moment et autres combines. Beaucoup ont indûment amassé des milliards. Un audit de l’État s’impose pour mieux évaluer les dégâts, situer les responsabilités et envisager d’éventuelles sanctions et réparations (actions judiciaires, restitution des biens détournés…). Les résultats de l’audit informeront également les choix et décisions des pouvoirs qui seront élus à l’issue de la transition qui s’ouvre.
L’impérative d’une justice transitionnelle et de la réconciliation
Beaucoup d’abus et crimes ont été commis ces dernières avec de nombreuses victimes. La justice transitionnelle doit s’opérer pleinement (procès, publication de la vérité, réparations pour les victimes,…) afin que nous puissions ouvrir une nouvelle page de l’histoire nationale plus unis et plus forts face aux défis trop nombreux. Cela est indispensable pour rompre la chaîne de la très dommageable culture de l’impunité qui caractérise notre maladive démocratie et envisager une réconciliation nationale.
Nous le pouvons si nous le voulons
Nous pouvons changer la trajectoire de notre destin commun mais à condition de le vouloir réellement et tous collectivement. Nous devons établir des règles solides auxquelles chacun se pliera même quand ce sera difficile. Il faudrait ériger en règle absolue la culture de l’effort et du mérite et de la redevabilité et assurer une distribution équitable de la justice à chaque malien indépendamment de son rang.
Les réformes et nous nouvelles règles qui seront établies dans cette phase transitoire seront cruciales et structurantes pour les décennies à venir. Alors montrons-nous à la hauteur de l’enjeu.
Bonne chance à nous.