Nous vivons dans un monde où les ordres établis sont en permanence remis en cause, les puissances d’antan se voient rattrapées par de nouveaux venus comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Cela crée des tensions et contribue grandement à créer un nouveau désordre mondialisé. Les nouvelles puissances tentent d’étendre leur influence pendant que les anciennes cherchent à tout prix à se maintenir à flot et à continuer d’assurer le niveau de vie de leurs citoyens. Cela se traduit par une compétition effrénée pour s’approvisionner en ressources de toute sorte et d’étendre son influence sur autant de territoires que possible. Ces machines à s’accaparer des ressources, s’il le faut, broient la nature, les hommes, cassent les liens séculaires qui les lient, détruisent des villages, des villes et même des pays.
Comment nous nous en sortons dans un tel contexte ? Où se place notre pays, le Mali ? Pour comprendre penchons-nous sur quelques indicateurs le concernant et comparons-le au 193 pays reconnus par l’ONU.
Prenons d’abord le PIB qui mesure la production de richesse dans un pays sur une année. Le Mali a un PIB par habitant de 837 dollars faisant de notre pays le 23e pays le plus pauvre dans le monde. Selon ce critère nous occupons le 33e rang sur les 54 pays du continent africain. Près de 42% de nos concitoyens vivent dans l’extrême pauvreté. Prenons un autre indicateur plus intéressant que le PIB, l’IDH (indicateur de développement humain) qui permet de mesurer la santé, la longévité, le niveau d’éducation ou le niveau de vie des personnes. Selon cet indicateur notre pays est 220e sur 228 pays classés. Un malien a une espérance de vie de moins de 59 ans pendant que les pays qui s’en sortent le mieux connaissent une espérance de vie de plus de 83 ans. Près de 70% de la population malienne est illettrée, plus de 3 millions de maliens menacées par l’insécurité alimentaire et les mauvais chiffres continuent ainsi.
Face à un tel tableau peu reluisant sommes-nous bien armés pour faire à l’avenir ? Commençons par regarder le nerf de la guerre, l’éducation et le capital humain.
Éducation et ressources humaines
Notre système éducatif dont l’objectif est doté les bénéficiaires de connaissances et de savoir-faire n’a cessé de se dégrader depuis une trentaine d’années. Il n’arrive même plus à transmettre les compétences de base comme la lecture aux élèves. Comme le soulignait le ministre de l’économie désormais premier ministre sur les 12 premières années d’apprentissage l’élève malien n’acquiert que l’équivalent de 4,5 ans. Quelle piètre performance ! L’enseignement supérieur quant à lui souffre de très nombreuses tares. Manque de moyens et d’installations au vu de des effectifs pléthoriques dans les facultés, années universitaires tronquées, délinquance et corruption sont plutôt monnaie courante en son sein. A cela s’ajoute une inadéquation patente entre les formations et les besoins du pays. Pendant que nous importons des plombiers, des électriciens ou d’autres techniciens qualifiés nos universités forment des milliers de jeunes dans des domaines n’ayant aucun débouché. Ceux-ci deviennent des chômeurs aussitôt leurs diplômés en poche.La situation ne cesse de s’empirer comme en témoigne le risque d’année qui nous guette.
Au même moment les autres pays forment en grand nombre leurs citoyens dans des domaines porteurs. A titre d’exemple il y a une dizaine d’années déjà la France formait par an 30 000 ingénieurs, les Etats-Unis 70 000, l’Inde 350 000 et la Chine 600 000. Autant dire que ces pays se donnent les moyens de se prendre en charge. Ainsi il n’est pas étonnant de voir des pays comme la Chine et l’Inde améliorer grandement les conditions de vie de leurs citoyens et devenir de plus en plus maîtres de leur destin.
Ce désastre qu’est notre système éducatif est de nature à compromettre l’avenir du pays si rien n’est fait de toute urgence. Dans d’autres domaines la situation n’est pas meilleure.
Faux-semblants et manque de courage
Ils chantent les gloires révolues du Mali qu’ils disent grand oubliant que l’histoire est remplie de peuples réduits à la servilité malgré leurs gloires passées. Ils entretiennent un langage de fermeté et de bonne gouvernance, dotent le pays de dispositifs juridiques tout en étant ses premiers fossoyeurs dans l’ombre. Ainsi nous nous sommes rêvés une démocratie exemplaire après la chute du régime militaire. L’Afrique entière nous enviait notre belle démocratie. La blague a quand même duré 10 ans avant que le monde entier découvre que ce n’était que de la poudre aux yeux. Ce ne fut qu’une démocratie de façade. Une démocratie sans justice, sans citoyens éclairés et sans institutions indispensables à toute démocratie réelle. Nous avons rêvé d’une démocratie mais nous avons eu une chose qui profite à une minorité tout en agissant comme un fardeau pour la majorité. Les maliens, aujourd’hui, manquent de tout ou presque. Tout est défaillant. Dans le concert des nations nous faisons partie des derniers de la classe.
La compétition pour les nations les plus sérieuses ne se joue pas que pour contrôler les ressources naturelles mais aussi sur le plan de la science et la technologie. Qui sera la première puissance de l’intelligence artificielle ? Quel pays sera le berceau des Google, Apple ou Amazon de demain ? Qui sera une cyber puissance demain, la cyber sécurité étant l’arme nucléaire d’un futur qui a déjà commencé. Dire que nous peinons à fournir de l’électricité et de l’eau potable à quelques hameaux seulement ! En 2019 l’Internet demeure un luxe dans notre pays à cause de son coût extrêmement élevé. La faiblesse des débits proposés est également de nature à empêcher l’éclosion de toute une classe de services digitaux. Dans ces conditions vouloir faire de notre capitale le Silicon Valley du sous-continent ouest-africain c’est comme vouloir un réseau de trains à grande vitesse sans avoir installé au préalable un réseau ferré. Nous constatons le même faux-semblant dans la lutte contre la corruption. Tous les régimes, de 1992 à maintenant, ont mené une lutte de façade contre la corruption qui n’a pas arrêté de prendre de l’ampleur avec le temps. Au lieu de s’attaquer à ce mal mortifère on préfère multiplier les structures de lutte contre la corruption. Tant pis pour nos universités et leurs amphithéâtres bondés et nos hôpitaux qui par manque de moyens tuent plus qu’ils ne soignent. Des millions de vies sont scarifiées sur l’autel de l’enrichissement de quelques uns. Ce fléau a atteint chaque sphère de la vie publique. Il a détruit l’école, l’administration, la politique et l’armée. Il tue le pays à petit feu. Il en faudra du courage au peuple malien et à ses responsables publiques pour le combattre. Au vu des errements sur les quarante dernières années on se demande si nous, en tant que nation, savons encore ce que nous voulons ?
Que voulons-nous ?
Le combat mené par les pères de notre indépendance allait au-delà de l’indépendance formelle. Ils savaient que ce n’était qu’une étape d’un combat long, et difficile pour avoir le droit de nous diriger nous-mêmes, de choisir ce que nous voulons être, en toute liberté. Le panafricanisme et l’intégration africaine étaient au cœur de leur projet pour une émancipation réelle du Mali et des peuples africains. Cela transparaissait dans les politiques économiques, la diplomatie ou l’éducation citoyenne. Aujourd’hui notre diplomatie est tellement faible qu’elle est mise à mal par de simples groupements de bandits armés, notre politique économique reste largement orientée par ceux qui nous tendons la main tels des mendiants depuis trop longtemps. Il urge pour nous de définir une vision, un projet national qui transcenderait les clivages de courants politiques. Une fois cela fait il nous faudrait travailler aussi dur que nous pourrons afin d’en faire une réalité. Personne n’a dit que ce serait facile.
Vive le Mali